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29 janvier 2009 4 29 /01 /janvier /2009 18:24
Une enseigne aux couleurs de la République trône au-dessus de la porte : Salle de sport de la mairie de Paris. Dans quelques mois, le gardien des lieux, situés à deux pas de la Trinité, sera un heureux retraité. Son devoir civique, il dit l’avoir déjà fait : 38 ans de turbin. « Le jour du vote, j’irai à la pêche, ils n’auront pas ma voix, tous ces cons ! C’est aux jeunes d’élire un roi, mais ils ne sont plus dupes. Faites un tour chez les boxeurs, vous verrez. »

France d’en haut, France d’en bas. Ici, la géographie des lieux imite la stratification sociale. Au premier étage, des petites têtes blondes vêtues de blanc, comme des anges, s’entraînent au maniement du fleuret sous l’œil attendri de leur maman. Au rez-de-chaussée, quelques jeunes lascars descendus à pied de leur HLM du 18e, enfilent une tenue de pugiliste plébéien : baskets montantes sur mollets de coq, shorts larges et bandes Everlast. La revanche sociale au bout des poings.« Envoyez bien votre gauche et tout de suite un direct du droit », répète José, l’entraîneur, à ses poulains.

« Gauche, droite ». L’écho résonne jusqu’au vestiaire. Grattez le boxeur, un politologue apparaît, aurait pu dire Audiard. « Ça va être chaud, les élections ! Moi, je vais voter Le Pen », balance Hassan (*), un post-ado de 19 ans au chômage. Le borgne serait tendance dans les banlieues, disent les gazettes. Elles en ont même déniché la preuve flagrante : un rappeur aperçu du côté de Saint-Cloud. Le large sourire d’Hassan  trahit le manque de conviction : « Je suis français et comme un bon Céfran, je m’intègre par le racisme. » Torse nu, Garib, 30 ans, un ancien champion de la salle, aujourd’hui chauffeur livreur, range ses affaires trempées de sueur dans son casier métallique : « Mais qu’est-ce que tu racontes, ce n’est pas un jeu de provocation. Là, tu ne brûles pas une voiture. Un vote, ça a des conséquences, mon pote… Pourquoi tu dis que tu votes Le Pen ? » Le jeune Hassan piétine sur place et se met à rire. Une note inquiète derrière la jactance : « Parce qu’ici, je ne crois plus à mes chances. Au moins, le Front national nous virera de France une bonne fois pour toutes… » A la salle de boxe, on n’apprend qu’à envoyer des directs. Garib répond en grand frère : « Moi, je voterai pour un mec qui me ressemble, qui vit dans ma sphère, se lève aussi tous les matins pour aller trimer ! » Hassan a beau chercher, il ne voit aucun candidat correspondant au profil. « T’oublies Besancenot, mon pote, rétorque Garib. Moi, je vais voter pour le facteur. Et tu devrais faire pareil au lieu de dire des conneries. »  Assis à côté, Ousmane se marre. Malien de 49 ans, il a une carte de séjour et travaille comme magasinier dans une boîte de vente par correspondance. Depuis des années, il vient à la salle pour se défouler dans le sac de frappe. Quand il parle, on a l’impression d’entendre l’accent d’Omar, du duo comique.

Dans le vestiaire, il passe pour le sage. « A être esclaves du luxe, les smicards vont finir sous une tente au bord du canal avec les “Donchipote” », aime-t-il répéter. « Ecoute les anciens, Hassan ! Faut pas voter à droite, c’est des racistes. Ségolène a l’air honnête, elle. Elle parle bien, elle veut aider les jeunes dans les quartiers, elle a dit qu’elle veut pour eux la même chose que pour ses enfants. » Une tête pleine de savon sort de la douche : c’est Salim, un jeune père de famille : « Ah ouais ! Et tu crois qu’elle serait prête à payer une école privée à mon fils ? Du mytho tout ça. » Avec un salaire de 1 400 €, Salim paie 800 € de loyer pour un 30 m² en bordure du périphérique dans lequel il vit avec sa femme et son fils. La vue sur les embouteillages, ça n’incite pas à la clémence : « Ces gens-là savent nous parler quand ils ont besoin de nous, mais quand c’est l’inverse il n’y a plus personne. Les socialistes nous ont déjà fait le coup dans les années 80 avec Touche pas à mon pote. » D’après lui, la gauche ou la droite, ça ne veut plus rien dire. La nouvelle ligne de démarcation serait plutôt verticale. Haut, bas. Riches, pauvres. « Pour la gauche, on a des gueules de colis piégés. Pour la droite, on est des voleurs. Mais qui se soucie du vrai appartement que je n’arrive pas à trouver ? Alors, en avril, je me déplacerai et je mettrai ma photo dans l’urne, avec un commentaire. » A voté !

La vapeur d’eau flotte dans l’air ; la buée a recouvert le miroir fixé au-dessus du lavabo. « Sarko Corleone », y inscrit Romain, 28 ans, sans emploi offi ciel, fan de « Scarface », de Mesrine et de confection italienne. Un rebelle cubain a structuré sa vision du monde. Pas Che Guevara, plutôt Tony Montana. Et il n’est pas loin de voir en Sarko un digne héritier du caïd de Miami. « Vous verrez qu’au dernier moment il dénichera une affaire scandaleuse pour détruire Ségolène et Bayrou. Il serait même capable de saboter leur voiture. »
Garib approuve d’un signe de la tête. Romain est lancé : « Il est prêt à tout, ce mec, et les Français aiment ça. Souvenez-vous de Balkany : bien qu’il ait été condamné, les gens ont quand même voté pour lui… Trop fort. » Le jeune Hassan l’interpelle : « Mais alors tu voteras pour qui ? » Tout en se badigeonnant les cheveux de gel, Romain esquive : « Sarko, avec son histoire d’Argenteuil, il nous montre qu’il ne peut pas aller partout en France. Je suis désolé, si tu es le boss, tu dois t’imposer partout. » Finit par répondre : « Moi, je n’ai jamais voté mais si je vote, je crois que ça sera pour José Bové. Lui au moins, il sait ce que c’est que d’être enfermé. »
Garib sort de la douche, une serviette autour de la taille : « Bové le fermier, celui qui a démonté le McDo ? » Ousmane : « Il a raison, Bové. Il devrait tous les démonter, les McDo. C’est dégueulasse et puis ce n’est pas hallal, alors on s’en fout. »

Les éclats de rires résonnent dans le vestiaire. Morad est arrivé au milieu du débat. A 32 ans, il tient un kiosque à journaux et a repris ses études de lettres, il y a trois ans : « Vous avez oublié Bayrou, les gars. Lui, c’est un malin, il dit vouloir récolter les voix des déçus de la droite et des désespérés de la gauche. Ça va faire du monde. Franchement, moi, je voulais voter pour lui. Mais depuis qu’il a déclaré qu’il pourrait prendre Strauss-Kahn comme Premier ministre, impossible ! » Intrigué, Hassan l’écoute, les yeux grands ouverts. S’attend à une analyse politique de haut vol. L’autre continue son laïus : « Bah ouais, Strauss-Kahn, physiquement, il me fait trop penser à l’agent immobilier qui a carotté mon frère pour une soi-disant super bonne affaire, un studio porte d’Aubervilliers. A saisir qu’il disait. Aujourd’hui, l’immeuble s’effondre. »
José ouvre la porte du vestiaire et prie les sportifs de bien vouloir accélérer les débats participatifs. « Il est 21 heures, les gars, je dois fermer la salle. C’est le règlement. »

Mouss Benia
(*) Tous les prénoms ont été changés.
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Présentation

  • : La blog de Mouss Benia
  • : Mouss Benia est l’auteur de deux romans : Panne de sens (Seuil, 2003) et Chiens de la casse (Hachette Littératures, 2007). Il signe des chroniques dans le supplément « Paris » du Nouvel Observateur, dans Médias et dans Le Monde.
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