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10 février 2009 2 10 /02 /février /2009 11:42

"Yes we can !" Pendant toute la campagne américaine, je me suis demandé comment traduire le mot d'ordre de Barack Obama. J'ai trouvé la réponse. Sur un maillot de l'Olympique de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), l'équipe des inénarrables frères Sandjak, on peut depuis quelques années lire en grosses lettres sur le torse des gamins : "Le foot, c'est bien, l'école c'est mieux.".

Bon, c'est vrai qu'on est encore bien loin du slogan de l'Oncle Sam, mais c'est toujours mieux que les vieilles mains en forme de badge des années 1980 qui ont tout juste permis de laisser entrer quelques têtes de colis piégé comme la mienne aux Fêtes de L'Huma, avant de nous laisser en plan avec la gueule de bois et le brouillard comme horizon. Au moins le message de Barack Obama rappelle une évidence : eh "ouais" mon pote, il faut essayer d'être président, et pour cela les bancs de l'école sont inévitables, c'est le tarif minimum. On ne devient pas maître du monde en apprenant à faire des passes en retrait ou en donnant des coups de tête dans un ballon.

Bien sûr, il est plus facile de mettre des coups de tête dans une boule de cuir Nike que de se cogner la tête contre le plafond de verre épais qui sépare la plèbe des hautes sphères feutrées. Reste à prévenir nos chères petites têtes crépues : décrocher des diplômes pour s'extraire de sa condition demande du temps et des tonnes d'aspirine. Sans compter que le terrain est loin d'être balisé, et la forteresse bien gardée.

Décidément les choses ont du mal à bouger. Seuls les faits divers réussissent à faire du bruit. Une odeur de naphtaline s'échappe de notre doux pays en proie à un mépris planifié par les élites envers ses enfants de HLM qui ressassent la même rengaine de victime depuis des décennies.

En France, on n'a toujours pas de pétrole et surtout pas plus d'idées, si ce n'est de nous laisser croire depuis 1998 que Zidane est une sorte d'Obama avec des crampons. Celui qui envahissait les espaces de pub pour vendre aux plus démunis le slogan d'Adidas "Nothing is impossible". Souvenez-vous de la France black-blanc-beur. A l'époque, on ne se posait pas de questions. On avait décroché le plus beau des trophées. On avait gagné tous ensemble. Mais gagné quoi, au juste ? Pas de la confiance en soi, en tout cas. En Amérique, ils appellent ça "le self-reliance". Il paraît que le concept vient de Ralph Waldo Emerson, un philosophe du XIXe siècle qui se baladait avec sa carriole à travers les grandes plaines.

C'est peut-être cette croyance en ses propres qualités qui a donné un homme comme Obama, capable de viser sans complexe la plus haute marche, juste à côté de la lune, quitte à basculer dans le vide angoissant, le vertige de la galaxie, l'absence de repère. Nous, avec notre Coupe du monde, on a juste eu droit aux couvertures de magazines sur la France qui gagne, avant que les perdants de cet Hexagone retrouvent leur place à la rubrique du chahut, comme une fatalité. Outre-Atlantique, le message est clair, la peur du Noir laisse place à la confiance. Chez nous, il est temps d'imposer ses valeurs et de redistribuer les prérogatives.

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29 janvier 2009 4 29 /01 /janvier /2009 18:24
Une enseigne aux couleurs de la République trône au-dessus de la porte : Salle de sport de la mairie de Paris. Dans quelques mois, le gardien des lieux, situés à deux pas de la Trinité, sera un heureux retraité. Son devoir civique, il dit l’avoir déjà fait : 38 ans de turbin. « Le jour du vote, j’irai à la pêche, ils n’auront pas ma voix, tous ces cons ! C’est aux jeunes d’élire un roi, mais ils ne sont plus dupes. Faites un tour chez les boxeurs, vous verrez. »

France d’en haut, France d’en bas. Ici, la géographie des lieux imite la stratification sociale. Au premier étage, des petites têtes blondes vêtues de blanc, comme des anges, s’entraînent au maniement du fleuret sous l’œil attendri de leur maman. Au rez-de-chaussée, quelques jeunes lascars descendus à pied de leur HLM du 18e, enfilent une tenue de pugiliste plébéien : baskets montantes sur mollets de coq, shorts larges et bandes Everlast. La revanche sociale au bout des poings.« Envoyez bien votre gauche et tout de suite un direct du droit », répète José, l’entraîneur, à ses poulains.

« Gauche, droite ». L’écho résonne jusqu’au vestiaire. Grattez le boxeur, un politologue apparaît, aurait pu dire Audiard. « Ça va être chaud, les élections ! Moi, je vais voter Le Pen », balance Hassan (*), un post-ado de 19 ans au chômage. Le borgne serait tendance dans les banlieues, disent les gazettes. Elles en ont même déniché la preuve flagrante : un rappeur aperçu du côté de Saint-Cloud. Le large sourire d’Hassan  trahit le manque de conviction : « Je suis français et comme un bon Céfran, je m’intègre par le racisme. » Torse nu, Garib, 30 ans, un ancien champion de la salle, aujourd’hui chauffeur livreur, range ses affaires trempées de sueur dans son casier métallique : « Mais qu’est-ce que tu racontes, ce n’est pas un jeu de provocation. Là, tu ne brûles pas une voiture. Un vote, ça a des conséquences, mon pote… Pourquoi tu dis que tu votes Le Pen ? » Le jeune Hassan piétine sur place et se met à rire. Une note inquiète derrière la jactance : « Parce qu’ici, je ne crois plus à mes chances. Au moins, le Front national nous virera de France une bonne fois pour toutes… » A la salle de boxe, on n’apprend qu’à envoyer des directs. Garib répond en grand frère : « Moi, je voterai pour un mec qui me ressemble, qui vit dans ma sphère, se lève aussi tous les matins pour aller trimer ! » Hassan a beau chercher, il ne voit aucun candidat correspondant au profil. « T’oublies Besancenot, mon pote, rétorque Garib. Moi, je vais voter pour le facteur. Et tu devrais faire pareil au lieu de dire des conneries. »  Assis à côté, Ousmane se marre. Malien de 49 ans, il a une carte de séjour et travaille comme magasinier dans une boîte de vente par correspondance. Depuis des années, il vient à la salle pour se défouler dans le sac de frappe. Quand il parle, on a l’impression d’entendre l’accent d’Omar, du duo comique.

Dans le vestiaire, il passe pour le sage. « A être esclaves du luxe, les smicards vont finir sous une tente au bord du canal avec les “Donchipote” », aime-t-il répéter. « Ecoute les anciens, Hassan ! Faut pas voter à droite, c’est des racistes. Ségolène a l’air honnête, elle. Elle parle bien, elle veut aider les jeunes dans les quartiers, elle a dit qu’elle veut pour eux la même chose que pour ses enfants. » Une tête pleine de savon sort de la douche : c’est Salim, un jeune père de famille : « Ah ouais ! Et tu crois qu’elle serait prête à payer une école privée à mon fils ? Du mytho tout ça. » Avec un salaire de 1 400 €, Salim paie 800 € de loyer pour un 30 m² en bordure du périphérique dans lequel il vit avec sa femme et son fils. La vue sur les embouteillages, ça n’incite pas à la clémence : « Ces gens-là savent nous parler quand ils ont besoin de nous, mais quand c’est l’inverse il n’y a plus personne. Les socialistes nous ont déjà fait le coup dans les années 80 avec Touche pas à mon pote. » D’après lui, la gauche ou la droite, ça ne veut plus rien dire. La nouvelle ligne de démarcation serait plutôt verticale. Haut, bas. Riches, pauvres. « Pour la gauche, on a des gueules de colis piégés. Pour la droite, on est des voleurs. Mais qui se soucie du vrai appartement que je n’arrive pas à trouver ? Alors, en avril, je me déplacerai et je mettrai ma photo dans l’urne, avec un commentaire. » A voté !

La vapeur d’eau flotte dans l’air ; la buée a recouvert le miroir fixé au-dessus du lavabo. « Sarko Corleone », y inscrit Romain, 28 ans, sans emploi offi ciel, fan de « Scarface », de Mesrine et de confection italienne. Un rebelle cubain a structuré sa vision du monde. Pas Che Guevara, plutôt Tony Montana. Et il n’est pas loin de voir en Sarko un digne héritier du caïd de Miami. « Vous verrez qu’au dernier moment il dénichera une affaire scandaleuse pour détruire Ségolène et Bayrou. Il serait même capable de saboter leur voiture. »
Garib approuve d’un signe de la tête. Romain est lancé : « Il est prêt à tout, ce mec, et les Français aiment ça. Souvenez-vous de Balkany : bien qu’il ait été condamné, les gens ont quand même voté pour lui… Trop fort. » Le jeune Hassan l’interpelle : « Mais alors tu voteras pour qui ? » Tout en se badigeonnant les cheveux de gel, Romain esquive : « Sarko, avec son histoire d’Argenteuil, il nous montre qu’il ne peut pas aller partout en France. Je suis désolé, si tu es le boss, tu dois t’imposer partout. » Finit par répondre : « Moi, je n’ai jamais voté mais si je vote, je crois que ça sera pour José Bové. Lui au moins, il sait ce que c’est que d’être enfermé. »
Garib sort de la douche, une serviette autour de la taille : « Bové le fermier, celui qui a démonté le McDo ? » Ousmane : « Il a raison, Bové. Il devrait tous les démonter, les McDo. C’est dégueulasse et puis ce n’est pas hallal, alors on s’en fout. »

Les éclats de rires résonnent dans le vestiaire. Morad est arrivé au milieu du débat. A 32 ans, il tient un kiosque à journaux et a repris ses études de lettres, il y a trois ans : « Vous avez oublié Bayrou, les gars. Lui, c’est un malin, il dit vouloir récolter les voix des déçus de la droite et des désespérés de la gauche. Ça va faire du monde. Franchement, moi, je voulais voter pour lui. Mais depuis qu’il a déclaré qu’il pourrait prendre Strauss-Kahn comme Premier ministre, impossible ! » Intrigué, Hassan l’écoute, les yeux grands ouverts. S’attend à une analyse politique de haut vol. L’autre continue son laïus : « Bah ouais, Strauss-Kahn, physiquement, il me fait trop penser à l’agent immobilier qui a carotté mon frère pour une soi-disant super bonne affaire, un studio porte d’Aubervilliers. A saisir qu’il disait. Aujourd’hui, l’immeuble s’effondre. »
José ouvre la porte du vestiaire et prie les sportifs de bien vouloir accélérer les débats participatifs. « Il est 21 heures, les gars, je dois fermer la salle. C’est le règlement. »

Mouss Benia
(*) Tous les prénoms ont été changés.
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29 janvier 2009 4 29 /01 /janvier /2009 15:37
« Je ne t’ai pas déjà croisé quelque part, toi ? » Chaque fois qu’il entend cette phrase, Hicham esquisse un sourire satisfait. Pas question de répondre dans la seconde. Il laisse l’interlocuteur se creuser les neurones, chercher dans ses souvenirs de soirée, de lycée, de première boum. Avant de recueillir la précieuse sentence : « Si, je te connais, tu es passé à la télé ou au cinéma ! Je ne sais plus sur quelle chaîne mais j’ai déjà vu ta tête à l’écran. » Cette tête, des milliers de Parisiens ont déjà pu l’apercevoir : une coupe façon Don King et une ganache sur laquelle s’est fixé un sourire de gosse. Il y a des photos de lui en noir et blanc placardées sur les murs de la capitale : rue des Canettes, rue de Belleville, rue de Bagnolet, rue des Francs-Bourgeois… C’est lui qui les a collées. La nuit, de préférence. Avec son petit seau de colle et son art de la débrouille. Murs, mobilier urbain, feux rouges : souvent, il repasse où il a sévi la veille, s’arrête, prend un café et observe les réactions. « Je veux interpeller, qu’on me voie. » En bas de la photo est inscrit un numéro de téléphone précédé d’une légende : « Hicham, comédien, cherche des rôles. » Mais aujourd’hui, l’affichage sauvage, il évite : « La mairie de Paris m’a mis une amende », dit-il. Désormais, il floque sa trombine sur des badges et des stickers qu’il distribue à qui voudrait colporter son faciès comme une marque. Deux euros le badge. « C’est juste pour me donner un coup de pouce. » Hicham Moumine n’est pas frappé par le spectre du nombrilisme, il est simplement de son époque : « Faut être connu pour être considéré, dit-il. Tu passes dans une gazette people, ensuite tu deviens artiste et on t’aide à trouver ton créneau. C’est comme ça que ça marche. » Vous ne le verrez jamais dans une académie de stars. Son ANPE, c’est la rue et ses providentielles rencontres dans les quartiers branchés. Après avoir martelé les inconscients parisiens avec son image, il finit le travail à la tchatche à la première occasion. Son quart d’heure de célébrité, Hicham l’a déjà eu. Et en prime time. C’était pour M6 quand il s’est prêté à une enquête sur le casse-tête du logement à Paris. Lui et sa copine étaient de bons clients, tous les deux intermittents du spectacle. La caméra les suivait dans une agence immobilière, puis une autre, elle les filmait à vélo dans la rue, lors des visites, et enfin pendant les travaux de l’appart trouvé. On découvrait Hicham au réveil, l’après-midi, au dîner, toujours une vanne balancée face caméra qui ne le lâchait pas. Les cheveux pleins de poussière, son bleu de travail taché de peinture, il s’est mis à faire des pompes en pleins travaux, juste pour amuser le cameraman. A la fin du reportage, il était enfin installé avec sa copine. Affalé avec sa moitié sur leur canapé, Hicham tendait à la caméra un oreiller rose en forme de cœur. Une image gardée en guise de fin : The end.


Au lendemain de la diffusion, son téléphone n’arrêtait pas de sonner. Ses amis étaient contents pour lui. La boulangère, la caissière du supermarché, tout le voisinage l’avait vu à la télé. Hicham était heureux et un peu gêné à la fois. Ce n’est qu’un début, se disait-il. Maintenant il fallait battre le fer tant qu’il était bouillant. « Coca-Cola est connu à travers le monde mais ils continuent de faire de la pub. » Hicham se fout d’être un produit, c’est son rêve.

Il ne pensait pas que sa vie prendrait cette direction. Flash-back. En 95, il débarque à 21 ans de sa montagne marocaine, via Agadir où il enchaîne mille métiers pénibles avant de traverser la Méditerranée grâce à un visa accordé non sans peine. Lui qui rêvait d’arpenter de belles avenues haussmanniennes débarque chez son cousin à Clichy. « J’étais étonné de voir autant d’Arabes concentrés par là-bas. » Il découvre l’hospitalité à la française. La validité du visa expirant, Hicham retrouve l’anonymat de la clandestinité, à raser les murs avec comme seul papier d’identité une fausse carte d’étudiant achetée 20 francs. Le temps passe et l’oisiveté le rend nostalgique du pays. « Dans un café de Clichy, un Marocain m’a offert un bonnet traditionnel du bled, tu sais un truc berbère, j’étais trop content. » Mais ce couvre-chef lui porte la poisse : le soir même la voiture de son cousin se fait stopper par les flics porte de Saint-Ouen : « On allait voir DJ Abdel. » Heureusement les flics abrègent l’interpellation suite à un appel radio et lui restituent sa carte d’étudiant. « Je me voyais déjà en haut de la fiche. Mais celle des expulsés. Après ça j’ai décidé de ne me déplacer qu’à vélo, c’est plus discret. »


Du bonnet berbère, il passe vite au sweat large et au pantalon baggy. « A force de suivre DJ Abdel dans ses soirées, j’ai fini par rencontrer Jamel Debbouze, je lui ai sorti trois vannes en rebeu, il était mort de rire. » Dans les soirées, Hicham s’occupe de vendre les mix tapes. Plus tard, Jamel l’embauche pour lui donner la réplique dans quelques sketchs. « Parfois les gens pensaient que j’étais son frère. » Il paraît que la mère de Jamel lui a remonté les bretelles : « Elle préférait qu’il fasse travailler son frère, le vrai, ce qui est normal, c’est important la famille. » L’idée d’être connu commence alors à le travailler. Il pense avoir le profil : « Avec Jamel, on est de la même taille et moi aussi je suis drôle. » Un soir, il est présenté à Isabelle Nanty qui assiste au spectacle de Jamel. « On a rigolé pendant la soirée et voilà. » Il lui parle de son parcours, elle lui propose d’intégrer la classe libre au prestigieux Cours Florent : « J’étais avec une majorité de fils à papa, mais pour moi, c’était gratos, je n’allais pas laisser passer l’occase. » C’était en 2001, l’année où il obtint enfin ses papiers.

Sur la chaîne cryptée, son rêve cathodique avait commencé, il le continue en enchaînant d’autres apparitions : « Après “le Cinéma de Jamel”, je tournais de temps en temps dans les sketchs pour Karl Zero quand il cherchait un mec pour faire l’islamiste, c’était marrant. » Par la suite, Hicham travaille comme silhouette au cinéma et dans des téléfilms. « Mais toujours pas de rôle. » La France, Hicham l’adore. Il a même chanté « la Marseillaise » en juillet 1998 face à l’écran de l’hôtel de ville. « Où était Doisneau pour me prendre en photo quand j’ai embrassé le drapeau comme Zidane ? »

A 33 ans, il ne veut toujours pas grandir. Tenue décontractée, baskets siglées commerce équitable, « les tenues de combat sont à la mode, mon pote », commente-t-il en attachant son petit vélo blanc à un feu. Une bicyclette à l’ancienne et le cadre recouvert d’autocollants imprimés de sa tête. D’un pas agile, il disparaît dans une laverie automatique pour pavoiser le monnayeur d’autocollants de sa trombine. Il réapparaît et sourit : « Excuse-moi, mais c’est un endroit stratégique. Il ne faut rien négliger. » C’est qu’il y a une idée derrière cette tête. Depuis son apprentissage d’art dramatique, il veut s’essayer au stand-up. « Je finis l’écriture du spectacle et à l’automne si tout se passe bien, je vais cartonner ». Boum !


Mouss Benia
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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 00:12
On a bien cru que c’était mai 68 qui recommençait façon Beyrouth. Après la révolte estudiantine, c’était au tour des cancres et des déscolarisés prématurément de faire du bruit. Ils n’avaient pas à descendre dans la rue, ils y étaient déjà. Comme d’habitude, depuis mon exil dans une chambre de bonne en centre-ville, j’ai suivi l’actualité de ma lucarne hertzienne. Les halls d’escalier, pour moi, c’étaient des potes tout frisés et l’apparition du chômage de masse dans les années 1980. Pas des gosses de 14 ans, biberonnés aux clips MTV, qui lâchent dix minutes la Playstation pour aller brûler la Renault 19 du voisin.
« C’est Sarkozy la caillera, nous on est tranquilles t’as vu et lui il vient nous insulter. » Sur la première chaîne, deux adolescents au visage dissimulé par une écharpe braillent face à la caméra : « La banlieue c’est le ghetto… on s’occupe pas de nous, quoi, y’a rien à faire ici quoi c’est mort, c’est la guerre… » « Qu’est-ce que vous voulez alors ? » demande le journaliste. « J’sais pas moi ! » Le son de sa voix se fait d’un coup hésitant. « Qu’ils fassent des terrains de foot… » Bravo mec : ta montagne a encore accouché d’une souris.
« Des terrains de foot ». Combien de fois j’ai entendu cette revendication en carton ? La formule semblait empruntée aux grands frères de l’époque « Touche pas à mon pote », quand ils demandaient naïvement au 20 heures des aires de jeux, en échange de la paix sociale. En retour, ils ont eu droit à un miroir défigurant où l’idiotie crève l’écran. J’avais l’impression de voir la caricature d’une caricature en regardant ces deux jeunes gens assis sur un banc, essayant de s’exprimer pour la télé, tout en balançant des gestes de rappeur pour intimider le cadreur, avec les flammes de voitures incendiées en guise de projecteurs.
De l’autre côté, en duplex sur le plateau, il n’y avait que des blancs-becs sociologues et autres intellos prêts à commenter la situation. Le sujet est sérieux et nous assistons maintenant à un cours de français. « La République ne doit pas faire de discriminations entre ses propres citoyens », dit l’un en écharpe rouge. « On assiste là à une colère des humiliés de la société », lui répond l’autre en velours côtelé. Rien à dire : les phrases sont claires et compréhensibles par tous, construites selon les règles du Bescherelle.
Au rang des invités, surtout pas de Mohamed s’exprimant avec aisance dans la langue de Molière pour déballer son cursus scolaire : la ménagère  ne comprendrait pas le décalage entre les images de sauvageons et la présence d’un érudit métèque sur le plateau. Et puis il risquerait de donner des idées à ses petits frères. Ils ont beau être descendants d’Avicenne, ce n’est pas ce qui les fera inviter à la télé, et puis un Arabe qui parle français plus que parfait, cela semblerait arrogant. Ou louche.
« Que Sarkozy aille traiter les Corses comme il nous traite ! » a dit un ancien de la cité en passant devant la caméra. T’as raison mon pote, les musulmans ou banlieusards, comme tu veux, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, sont de vrais paillassons. On peut utiliser les images et le vocabulaire que l’on souhaite pour parler d’eux dans les média, il n’y a personne pour relever, la majorité travaille à l’usine, et la pincée de « robeux » branchés qui ont pu s’échapper de la cage d’escalier pour intégrer un strapontin dans une quelconque rédaction, se désolidarisent afin d’éviter l’amalgame, de ne pas attirer les regards et risquer de perdre leur place. Ma cité va craquer, qu’est-ce que j’en ai à foutre, je n’y habite plus.
Mais je ne vais quand même pas me taper les chaînes arabes de la parabole pour enfin trouver des gens dotés de cerveaux à qui je ressemble, des journalistes qui élèveraient ma pensée. Le petit Français natif des terres du Roi-Soleil que je suis ne comprend pas leur arabe. Une bonne raison de rester calé sur nos vieilles chaînes nationales.
Je zappe et je mate comme dirait le chansonnier. Dans nos banlieues on tend à croire que l’échec est mat. Tiens, la présentatrice annonce un sujet sur un jeune chef d’entreprise français, d’origine marocaine, qui a réussi à changer de sphère sociale, à force de travail. « Un exemple de jeune, dit la présentatrice, qui a su se fondre dans le paysage français en montant un commerce d’importation de babouches. » Et comme chez nous tout finit par un thé à la menthe, à la fin du reportage, la mère de l’heureux patron, portant un couvre-chef, remplit le verre du cameraman. Ah ! la belle hospitalité orientale ! Merci pour le symbole. Imaginez un instant que chaque image d’un chef d’entreprise français comme Dassault ou Pinault se termine par un coup de jaja avec en musique de fond un p’tit tour d’accordéon !
Que dire ? Si j’en crois Paco Rabanne, on ne vit que trois fois, et moi j’aimerais quand même exister un jour. Le problème, c’est que je ne me vois pas monter une usine de tchadors, ni me faire humilier à la Sar Ac. Alors quand je vois les deux gamins décervelés qui jouent les stars du Jité, une petite voix me dit qu’ils ont trouvé le moyen de gagner leur quart d’heure de célébrité. Et pourquoi pas passer sur le plateau de PPDA ? C’est décidé, demain je brûle une voiture.
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8 juin 2008 7 08 /06 /juin /2008 22:58
«Dieu est grand» criait la foule de manifestants. Mais de Damas à Gaza, les croyants paraissaient tout petits dans ma télévision. Alors j’ai passé deux semaines à suivre cette affaire de caricatures pour essayer de comprendre.

Et j’ai vu des barbus faire la queue pour piétiner un grand carré de tissu rouge et blanc. J’ai d’abord cru que c’était le drapeau suisse, pensant que les mecs partaient en guerre contre les paradis fiscaux où vont se planquer les pétrodollars de leurs dirigeants. Mais j’ai appris que c’était les couleurs du Danemark, et que les types en question avaient décidé de ne plus jamais manger de krisprolls pour défendre le Prophète bafoué par des Cabu nordiques.

J’ai vu sur un plateau de télé un certain Philippe Val, qui avait l’air à la fois tendu et content d’être là. Il parlait des caricatures danoises qu’il aurait le courage de publier, au nom de la « libertédéspression » qu’il fallait absolument défendre en achetant son journal. Ilexpliquait qu’il irait jusqu’au bout, et je me demandais bien vers quel bout il voulait aller. Il ressemblait à un enfant dans la cour d’école, qui joue au « même pas cap’ » avec ses copains. Il était tellement dans son jeu, qu’il promettait de publier des caricatures sur les millions de morts à Auschwitz ou Birkenau. Je me suis interrogé sur ce qu’il était prêt à faire pour m’imposer cette sacro-sainte liberté avec ces numéros supposés spéciaux. 

J’ai vu le grand patron de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), qui s’insurgeait contre « l’insulte faite aux musulmans du monde entier ». Je m’étais donc fait insulter sans même m’en rendre compte. Alors, j’ai consulté les satanés dessins sur Internet : ça m’a fait penser à une vanne d’élève de CM2, dont les bides à répétition ne suscitent que la compassion gênée de ses camarades. J’en ai déduit que le type de l’UOIF était un peu susceptible, sans doute parce qu’il n’avait jamais connu l’humiliation d’un chômeur arabe en fin de droit, à qui les employeurs répètent pour la énième fois « On vous rappellera ».  

J’ai vu un sondage sur LCI qui annonçait que 76 % des Français trouvaient «l’affaire» préoccupante. J’étais rassuré. Cela signifiait que près de huit personnes sur dix pouvaient se préoccuper de moi. Je me suis dit que j’aurais beaucoup de choses à leur dire, notamment sur les difficultés que je rencontre en ce moment pour trouver un logement. Mais un invité de la chaîne ajoutait que l’Occident se sentait menacé par les tabous des musulmans. Je ne savais pas que je vivais sous l’empire de tabous. Moi qui me croyais si ordinaire, avec ma carte orange et mes cacahuètes grillées devant un match France-Angleterre.

J’ai vu Sarkozy qui affirmait que «l’excès de caricature est toujours préférable à un excès de censure». J’ai ainsi compris pourquoi il avait alors fait pression auprès d’un éditeur pour empêcher la publication d’un livre sur sa femme : le récit ne devait pas être assez caricatural. Je me suis dit qu’avec un tel président en 2007, il y aura sans doute un formidable bureau de censure chargé de nous garantir le nec plus ultra de la caricature. J’ai vu des images sur les ambassades danoises en flammes. C’est le moment qu’a choisi ma copine Olga pour m’appeler. Elle annulait notre dîner aux chandelles, et pour mes vacances à Copenhague cet été, elle verrait. Je lui ai rappelé que, malgré ce que disait la télé, je n’étais nullement « un musulman en colère ». En galère, oui. Mais sûrement pas en colère. Je lui ai rappelé qu’à l’heure du haut débit, les dessins avaient mis quatre mois à arriver sur nos écrans et qu’entre-temps, elle avait déjà eu des doutes sur mon éventuelle participation aux émeutes de banlieue. Je ne pensais pas que les crayons de couleur allaient devenir les nouvelles armes de destruction massive. Elle m’a dit qu’on n’était jamais à l’abri. 

A la fin, j’en ai conclu que ces piètres dessins avaient eu au moins un mérite. Celui de me faire découvrir à quel point notre démocratie de marché, à travers ses éditorialistes attitrés, ses responsables communautaires ou ses petits hommes de pouvoir, pouvait se retourner elle-même en triste caricature de nos grands idéaux.
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4 avril 2008 5 04 /04 /avril /2008 12:27
Cher Monsieur,

A l’inverse des médias de panurge, je ne me permettrai pas de vous appeler Harry. Ne le prenez pas mal. Je ne voudrais pas rajouter mon nom à l’interminable liste des tutoyeurs en série, ni à celle des journalistes troisième démarque qui tantôt vous « veulent du bien » tantôt vous font « rencontrer Sally ». Laissez-moi néanmoins vous dire que je ne suis pas mécontent que mon écran couleur serve enfin à quelque chose. D’habitude, le noir à la télé, c’est une teinte réservée à « Téléfoot » et aux clips vidéo sur MTV. On la voit rarement assortie à une cravate Hugo Boss et à un esprit affûté. C’est une couleur qui fait peur, semble-t-il.
J’en parlais encore avec mon voisin de palier. Un mec banal, raciste à mi-temps, sans réelles convictions, comme pas mal de nos compatriotes. Le genre de bonhomme qui aime dire : « Tu vois, j’ai jamais eu de souci avec toi, mais franchement, avec les problèmes de sécurité qu’on montre à la télé… » Avant de laisser parler les points de suspension. Alors, quand on a évoqué votre arrivée sur la chaîne la plus regardée du pays, il n’a eu qu’une seule réaction : « Le problème des Noirs, c’est qu’ils ne sont jamais à l’heure. Avec Harry, le « vinteur » va commencer à 20 heures 10. » Je n’ai pas osé répondre. Terrifié. Sans doute parce que j’avais lu la veille un sondage publié dans Le Parisien, où un « Français sur trois se déclarait ouvertement raciste ».
En France, donc, on n’a pas de pétrole, mais on a un sacré sens de l’humour pour vous envoyer en première ligne, sachant pertinemment le fond des pensées de la majorité du pays qui pendant ce temps se fera cramer l’épiderme sur nos jolies plages du Sud. A croire qu’on voudrait transformer les minorités invisibles en minorités risibles. Au fait, pourquoi ne vous a-t-on promis qu’un simple intérim pendant les vacances d’été ? Si les dirigeants de TF1 avaient voulu pousser la blague jusqu’au bout, il aurait fallu vous proposer un contrat de présentateur jusqu’aux élections de 2007. Après tout le travail de rabattage opéré par Nicolas Sarkozy, je vous imagine déjà en train de nous annoncer la victoire écrasante de Jean-Marie Le Pen, pendant que mon voisin sablera sa Valstar.
Etes-vous prêt à jouer le jeu ? Pour en savoir davantage sur votre personnalité, je me suis intéressé à votre parcours dans les journaux. Le problème, c’est qu’aucun reporter ne parlait de votre façon de travailler ni de votre « engagement au service de l’information », comme on a l’habitude de le dire pour PPDA. J’ai rapidement découvert que vous aviez fait vos premières armes à la radio puis sur I-télé, mais en revanche j’ai appris une bonne dizaine de fois que vous étiez originaire des Antilles, alors que je m’en contrefous. A vrai dire, ça m’a même un peu énervé, qu’on vous présente à la façon d’un cousin éloigné de la Compagnie Créole, tandis que je suis toujours incapable de dire si David Pujadas est breton ou niçois.
Alors faites gaffe, Monsieur Roselmack. Il semblerait que derrière les tapes amicales de vos nouveaux copains, des snipers vous observent. Ceux-là mêmes qui vous ont placé sous les projecteurs sont déjà prêts à raconter vos futurs déboires. « Il aura quand même eu sa chance », diront-ils. Et si en plus l’équipe de France, envoyé en mission en Allemagne, se fait étriller au premier tour, vous n’aurez même pas droit aux fameux effet « Coupe du monde », celui qui nous avait fait croire en 1998 que nous étions tous champions, tous frères, quelles que soient nos couleurs. L’art de la chasse, rappelez-vous, ce n’est pas dégommer un perdreau quand il est à terre : c’est attendre qu’il soit dans les airs pour le descendre en plein vol.

Bien à vous,

Mouss Benia
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Présentation

  • : La blog de Mouss Benia
  • : Mouss Benia est l’auteur de deux romans : Panne de sens (Seuil, 2003) et Chiens de la casse (Hachette Littératures, 2007). Il signe des chroniques dans le supplément « Paris » du Nouvel Observateur, dans Médias et dans Le Monde.
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